Jonathan

“You have the freedom to be yourself, your true self, here and now, and nothing can stand in your way.” - Richard Bach, Jonathan Livingston Seagull

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vendredi 23 août 2013

Journal d'un apprenti vieux con - les vacances - suite

Après quelques semaines d'interruption, reprenons donc ce thème inspiré des dernières vacances en mai dernier.

« Les vacances m’emmerdent. » Voyons donc le premier pilier de ce nouveau postulat.

D’abord… c’est moche ! Oh bien sûr, ces paysages de la Drôme Provençale sont formidables, et je ne peux réfréner mon enthousiasme sur ces chemins qui nous réservent tant de belles surprises que ce soit dans le « macro » (une colline, un arbre, un village perché) ou dans le « micro » (une orchidée sauvage, le vol d’un rapace, un brin de thym froissé entre le pouce et l’index). Mais ce village de vacances ! Comme des centaines d’autres à travers notre beau pays, c’est un amoncellement de blocs de béton auxquels on a cherché à donner un aspect agréable, allant même (et c’est le cas ici) jusqu’à singer l’enchevêtrement délicieux des bâtiments du village médiéval tout proche. Ici s’entassent des cadres moyens et leurs familles, venus de toute la France, à la recherche d’une pause à bon prix et dans un confort impeccable. Oui, mais quelle tristesse, ce crépis jaune uniforme ! Quelle morosité, cet évier en inox jouxtant le micro-ondes et le grille-pain tout plastique ! Oh c’est sûr, pas de surprise – ni mauvaise, ni bonne : tout fonctionne, tout est en ordre, aucune question à se poser – si ce n’est de compter le nombre de petites cuillères et de se souvenir des horaires d’ouverture du sacro-saint « accueil »… En contrepartie, pas d’escalier qui grince. Pas de literie héritée de l’arrière grand papa qui a pourtant cesser de la martyriser de ses cent-vingt kilos depuis longtemps. Pas d’odeur de vieille pierre, de cendre froide, d’édredon humide… Ici, tout est lisse, rassurant… et angoissant.

mardi 6 août 2013

Un enterrement de 1e classe

Voici la version longue de la nouvelle que j'ai écrite pour le concours "Mauvaise blague" de WeLoveWords et Transfuge. La version courte est disponible ici : http://www.welovewords.com/documents/un-enterrement-de-1e-classe/fullscreen_player.

Bonne lecture !

K.

Un enterrement de première classe

Samedi, avenue Victor Hugo.

- Il est quelle heure ? 15h20. Eh ben ! Déjà une heure que ça dure la plaisanterie, et je n’en suis qu’à un… Et encore, une chance que je sois tombée sur Max – c’était quand même moins dur avec lui, ça nous a rappelé le bon vieux temps. C’était quand, Maxou ? La seconde ou la première ? Hmmm – seconde je crois. Il est toujours aussi mignon, douze ans après. Il a l’air toujours aussi compliqué aussi… Sacré Max.

Franchement, j’ai l’air malin avec ce justaucorps rose et cette jupette violette en tulle. Je suis sûre que c’est une idée de Marina ça. Bien son style… Et ce maquillage de pute qu’elles m’ont fait ! Ah elles se sont lâchées les filles. Elles rigolaient bien en me préparant. Faut dire, je suis quand même la première de la bande à franchir le pas – alors autant en profiter pour se lâcher. J’en soupçonne même une ou deux de vouloir me le faire payer, d’une certaine manière. Tiens, Clarisse par exemple – Clarisse. Les hurlements de rire qu’elle poussait en m’essayant les perruques – indécent. Et franchement pas naturels, la connaissant, elle si réservée, si prude même. Ah c’est sûr que c’est pas gagné avec les garçons, pauvre Clarisse. Quand je pense à Kevin qui voulait la mettre à table à côté de son pote Bertrand. Je lui donne pas cinq minutes, au Bertrand, avant que Clarisse ne s’enfuie en courant, ou bien qu’elle lui balance une tarte. Faut dire que le Bertrand, là, il est quand même gratiné. J’aime pas quand il entraîne Kev dans ses délires. Mon Kev… il est si mignon quand on est tous les deux, mais j’avoue que quand il est avec ses potes, je suis vraiment mal à l’aise. Je me sens comme… comme la petite grosse qui passait dans notre rue et que les gamins de la ZUP poursuivaient en insultant. La pauvre, j’avais mal pour elle. Pourtant je riais avec les autres, bien obligée, sinon ils m’auraient traitée pareil.

Bon, donc, embrasser cinq garçons sur la bouche avant la fin de l’après-midi. Super. Quelle idée à la con ! Là, pour le coup, elle me le font vraiment payer mon mariage, les filles. J’aimerais bien savoir quelle est la peste qui a eu cette idée tordue. Gégé ? Non, pas ma Gégé, pas elle. Je suis même sûre qu’elle s’y est opposée. Si ça se trouve, elles avaient dit « quinze », et Gégé s’est battue comme une diablesse pour limiter à cinq. Oui, je vois plutôt ça comme ça. Gégé n’aurait jamais eu une idée pareille. Gégé n’aime pas beaucoup Kevin, je le vois bien, malgré tous les efforts qu’elle fait quand nous sommes ensemble. C’est pas de la jalousie, c’est juste qu’elle a peur pour moi, ma Gégé. Elle me l’a dit plusieurs fois. Mais elle peut pas comprendre – Kev, son petit côté macho, c’est du second degré, c’est pour cacher toute sa tendresse. Il est tellement adorable quand on est rien que nous deux, ça vaut bien quelques petites blagues quand les autres sont là.

Une vibration dans sa poche. Tiens, justement : « On s’éclate à fond. J’espère que toi aussi tu prends du bon temps. Je t’M. »

- Trois jours avec ses potes à Vallon Pont d’Arc, dans la maison des parents de Jérémie – ils vont pas se coucher intelligents ! S’il me voyait là, dans la rue piétonne, avec mon accoutrement ... Il aime rigoler mais là je crois qu’il n’aimerait pas. Pas lui, pas mon Kev.

Alors, qui a eu cette idée débile ? Fatoumata ? Hmm, Fatoumata la délurée, mon petit diable pervertisseur à moi… J’adore quand ses yeux brillent, c’est qu’elle vient de trouver une nouvelle idée ! Ma première cuite, c’était elle ! Et le jour où on est partie toutes les deux à la mer avec la voiture de mes parents… Je me suis prise une belle engueulade en rentrant, mais qu’est-ce qu’on s’était marrée toutes les deux à Martigues ! La tête du type de l’hôtel quand elle lui a dit « non, un grand lit ça ira très bien ». Elle n’en loupe pas une. Mais là ? Peut-être, oui, elle en est capable dans l’absolu, mais me faire ça à moi ? Je n’y crois pas.

Allez Marie, ma fille, du courage, encore quatre. Le grand tout pâle, là-bas, sur son vélo ?

Samedi, allée des Petits Champs

- Ma-rie, un dis-cours ! Ma-rie, un dis-cours ! - Allez Marie quoi ! - T’es déjà pompette ?

Marie se lève un peu chancelante. - Clotilde, baisse la ‘zique !

Le silence se fait. On n’entend plus que le grincement d’une cigale qui donne les derniers coups de crécelle de la journée. Elle regarde la cime des arbres devant elle, comme si elle cherchait à voir l’insecte bavard, puis reprend une gorgée de son gin tonic. - Les filles, on a fait un bon bout de chemin ensemble… On a passé des chouettes moments – vous vous souvenez, la Grèce en train, l’arrivée sur Athènes au petit matin ? On s’est tapé des vraies galères – comme la fois où Lisa avait disparu avec un type chelou, en boîte, et qu’on a fait tous les campings du Crouesty pour la retrouver. On a eu des grosses rigolades, comme quand Mina est allée prendre sa douche dans les vestiaires des mecs, à la piscine, sans s’en rendre compte. Ben voilà, aujourd’hui on enterre peut-être ma vie de jeune fille (elle fait une petite révérence en tirant sur les plis imaginaire d’une longue robe) mais on va pas arrêter tout ça comme ça. D’abord parce qu’il y aura toujours de la place pour les copines à la maison, et ensuite parce que Kev va continuer à voir ses potes en solo, donc pas de raison pour que moi, je me prive ! - Tu partages alors ? - Ouais, tu partages ton Kevin aussi ? - Eh dis donc Marion, tu oublies pas un peu que tu parles de ton frangin, là ? Bon, de toutes façons, que ça soit clair, mon Kev, je le partage pas, compris ? Nada, rien du tout. J’ai jamais partagé, c’est pas pour commencer avec mon… mari !

Marie reprend une gorgée, regarde à nouveau les pins parasols. - Mais puisque vous voulez un discours, j’ai aussi une chose à vous dire sur cette journée. Moi, cette journée, je l’imaginais comme un bon moment entre copines, un moment où on s’amuse, où on rigole, où on se fait des délires, où on se pose tranquille,… Ce qu’on est en train de vivre ce soir, en quelques sortes. J’imaginais… je sais pas moi, qu’on irait faire les folles dans les magasins pour essayer des fringues délires, ou bien faire les stars à la piscine de Valensolles, ou encore se faire faire des papouilles au spa, enfin un truc qu’on partage, où on est bien toutes ensembles, comme on aime, quoi. Au lieu de ça, j’ai vécu une sorte de bizutage, pas très agréable, pour tout dire. Ca a commencé par cette séance d’habillage et de maquillage… Je me suis demandé à quoi on jouait, là. Vous allez me dire, j’ai déjà vu des nanas enterrer leur vie de jeune fille, dans la rue, déguisées, en train de faire des trucs débiles… Oui je sais, mais bon, je croyais que nous, ça allait être différent. Je pensais que vous aviez envie d’autre chose pour moi. Je pensais, c’est notre dernière occasion entre filles alors on va se faire un truc chouette, un truc qui nous fera de beaux souvenirs à toutes. En fait, je voyais ça plus comme une journée à nous, pas comme une journée qui tourne autour de moi… Vous me comprenez ? Ca me fout les boules de vous dire ça comme ça, parce que ça a l’air d’être des reproches, mais ça n’en est pas. On s’est toujours tout dis, pas vrai ? C’est notre fierté. Alors même si ça casse un peu l’ambiance, il faut que je vous le dise.

Elle s’interrompt encore… Elle promène son regard parmi les filles, cherchant un appui, une confirmation qu’elle a raison de faire ça. Certaines regardent ailleurs : Mina regarde ses pieds avec attention, comme si c’est eux qui lui parlaient ; Marion scrute attentivement son verre en lui imprimant une légère rotation qui fait danser le liquide à l’intérieur. Clotilde déballe et engloutit Apéricube sur Apéricube, en repliant soigneusement chaque emballage qu’elle empile sur le tabouret à côté d’elle, par couleur. Fatoumata, debout devant la piscine, donne des petits coups dans l’eau du bout de son gros orteil où brille un ongle verni de vert pomme.

Elle arrête son regard sur Géraldine, qui lève les yeux vers elle. Son visage est impassible mais ses yeux noirs dégagent la force qu’elle cherchait. Elle s’y arrête quelques secondes, puis regarde à nouveau les autres.

- Franchement je n’ai pas compris comment vous avez pu avoir cette idée. Ca vous ressemble tellement pas ! Embrasser cinq inconnus sur la bouche, en pleine rue, un samedi après-midi… Je vais vous dire, j’ai eu vraiment, vraiment envie de vous planter là. Ce qui m’a retenu, c’est notre amitié : je me suis dit que ça valait bien un petit effort, même si ça me faisait vraiment mal. J’ai repensé à tout ce qu’on avait vécu, la Grèce, le Crouesty, le bahut, tout ça, et je me suis dit « courage, tu vas y arriver ! ». Et puis, je me suis dit aussi qu’après ce sale moment, nous passerions une bonne soirée, une soirée comme je les aime… Une soirée cool, rien qu’entre nous, autour de la piscine de tes parents, Mina, comme tant de fois. Là, je dois dire que je n’ai pas été déçue. Elle est cool cette soirée. Elle est comme je la voulais. J’espère juste qu’elle restera comme ça dans vos mémoires, même après ce que je vous ai dit là. Je suis vraiment désolée, mais je vous le devais, je pouvais pas laisser ça entre nous, surtout pas ce soir, pas un jour comme celui-là.

Elle est là, debout… On n’entend plus que la rumeur de l’autoroute, au loin. Même la cigale s’est tue. Elle se sent soudain seule, très seule. Elle a la sensation de tomber dans un puits sans fond, d’être en apesanteur au milieu d’elles, ses amies, ses frangines, son clan.

Géraldine se lève, s’avance vers elle, la prend dans ses bras. - Merci, Marie. Merci.

La chute s’arrête, elle reprend pied et s’accroche à l’étreinte de son amie comme au tronc d’arbre salvateur. Sa poitrine se libère à nouveau. Elle respire, lève son verre. - A vous les filles ! A vous, mes amies ! - A Marie ! - A toi ma belle ! - Vive la mariée !

Mardi, restaurant One Two Tea

- Kev n’a pas compris quand je lui ai dit que finalement, on ne déjeunerait pas ensemble. Il voulait venir avec nous. Il ne voyait pas pourquoi je voulais à tout prix être seule avec toi. - Tu lui as dit quoi ? - Qu’on avait des trucs de filles à se dire, que j’avais besoin que tu m’aides à choisir un sac de voyage pour notre lune de miel, enfin tu vois quoi… - On se prend un demi pichet de rosé ? - Ca roule ma poulette… Et une grande carafe d’eau aussi. - Mesdemoiselles, vous avez choisi ? - Oui, deux formules avec la grande salade, et un demi pichet de Crozes rosé. - Et une grande carafe d’eau bien fraîche. - Pas de problème, je vous apporte ça. - Alors, qu’est ce que tu voulais me dire ? - Tu ne t’en doutes pas un peu ? - C’est à propos de samedi dernier ? - Oui. Tu as bien fait de dire ce que tu as dit. C’était sain. C’était nécessaire. - Ben pour casser l’ambiance c’était parfait, oui ! J’ai bien vu que tout le monde se forçait à rester après, mais dès que Marion est partie tout le monde a suivi. - Oui, surtout que c’est pas le genre de Marion de donner le signal du départ ! - Merci d’être restée avec moi jusqu’à la fin. C’était plus facile avec toi. Alors, tu voulais me dire quoi ? - Et voici le rosé, l’eau bien fraîche, du pain… Les salades arrivent. - Merci. Je te sers ? - Oui, merci.

Géraldine vide son verre d’eau d’un trait, puis se verse un peu de rosé. Elle le fait tourner dans son verre en le regardant, puis regarde Marie droit dans les yeux… revoici le regard d’obsidienne, celui des grands moments.

- Tu as vraiment bien fait. C’est mieux pour nous. Maintenant, je te connais assez pour savoir que depuis samedi, tu te demandes quelle mouche nous a piqué de te faire faire ce truc débile, et qui a pu lancer une idée pareille. - Tu n’imagines pas comme j’étais malheureuse. Seule dans cette tenue ridicule, avec mon maquillage de pute, avec tous ces gens qui passaient. Je me disais, si mon patron, si ma boulangère, si mon prof de danse africaine me voyaient ! J’avais envie de disparaître. - J’ai vu tout ça dans tes yeux. Je me suis sentie conne, conne et lâche d’avoir laissé partir les choses comme ça. Je savais pourtant que ce n’était pas pour toi, ce genre d’amusement. Je voyais bien que tu te forçais à rire, à nous donner le change, à nous qui t’observions depuis la terrasse en ricanant bêtement. Marie, pardonne moi ! - Tu sais, je vous ai déjà pardonné, à vous toutes, dès samedi soir. Mais j’avais besoin de vous le dire, je vous devais ça. Si je n’avais rien dit, j’aurais eu l’impression de nous trahir, de vous quitter pour de bon. - Oui, c’était la chose à faire, et on l’avait bien mérité de toutes façons. Mais je te dois toute la vérité moi aussi. C’est Marion qui a lancé l’idée, et qui a insisté pour qu’on le fasse. - Marion ? Mais pourquoi ? Marion ! - Oui, on n’a pas compris, sur le coup… - Et voici les deux grandes salades du jour. Bon appétit Mesdemoiselles ! - Merci. - Merci – vous pourrez nous remettre un demi pichet de rosé, s’il vous plaît ? - Pas de problème, je vous apporte ça.

Marie contemple sa salade d’un air absent. Elle pique un bout de tomate puis repose sa fourchette, et lève à nouveau les yeux vers Géraldine. - Mais Marion est toujours la dernière à lancer des délires… On la charrie toujours parce qu’elle ne se laisse pas assez aller. Déjà samedi soir, quand elle a parlé de « partager Kev », je n’en croyais pas mes oreilles… Qu’est ce qui lui a pris ? - Nous non plus, on n’a pas compris quand elle a lancé l’idée. Ca ne lui ressemble tellement pas ! On a d’abord cru qu’elle blaguait. Ensuite on lui a dit que te connaissant, on ne sentait pas trop le plan bizutage. Et puis quoi, là ça y allait un peu fort tout de même ! - Un peu ! franchement quand vous m’avez expliqué ce que je devais faire, j’ai vraiment cru que vous plaisantiez, qu’au dernier moment vous me diriez « non, c’était pour voir si tu marchais ». Je me suis sentie si seule, si seule… - Arrête, je me sens si nulle d’avoir laissé faire ça. Oh Marie, j’ai honte. - Laisse tomber la honte, dis-moi plutôt pourquoi Marion a voulu faire ça… et surtout, comment a-t-elle pu vous convaincre ? Toi… Mina… Fatou… Fatou n’a rien dit ? - Si, Fatou aussi a râlé, elle a même gueulé très fort en disant que c’était débile, qu’on n’était que des petites pétasses frustrées pour avoir des idées pareilles, enfin avec son vocabulaire, tu imagines ! Mais Marion avait un argument de poids. - Et quoi donc ? - Tu ne devines pas ? - Non. - L’idée ne venait pas d’elle, en fait. - Mais tu viens de me dire que… - Oui, je t’ai dit que c’est elle qui en a parlé dans la bande, mais elle ne l’avait pas inventé. Elle n’a fait que porter le message. Je me demande d’ailleurs si elle était bien convaincue elle-même qu’il fallait le faire. - Ce qui expliquerait son air fuyant samedi soir quand j’ai déballé mon sac, et qu’elle soit partie la première ! - Oui, il y a des chances. - Et donc, d’où vient l’idée ? - Tu ne devines pas ?

Marie fixe Géraldine de ses grands yeux étonnés, incapable de trouver la moindre explication logique. Géraldine a presque envie de rire à voir remonter ainsi à la surface la tendre naïveté de la Marie de treize ans, celle qui la regardait ainsi quand elle lui expliquait ce que voulait dire « emballer ».

- Marie, quelqu’un de très proche de Marion… Réfléchis ! - Ben… non ? - Fais un effort, merde, c’est quand même difficile pour moi ! Marion t’a bien présenté à quelqu’un de sa famille un jour, non ? Quelqu’un dont tu es devenue très, très proche !

Retour de l’apesanteur… Marie voit soudainement la Grande Rue tourner autour d’elle, le visage de Géraldine, celui de Marion, puis peu à peu un autre visage émerge au même moment que son téléphone portable se met à vibrer. Elle l’attrape machinalement et regarde l’écran. « Prend-le bien grand pour tous les cadeaux que je vais t’acheter. Je t’M »

Elle repose le téléphone près de son assiette. L’air lui manque à présent. Elle retrouve le regard de Géraldine, qui est passé du minérale au liquide.

- Kev… Kevin… Mais comment ? Pourquoi ? - Kevin a insisté auprès de Marion pour qu’elle nous convainque. Ce qui n’était au départ qu’une mauvaise plaisanterie est devenu un enjeu : il voulait savoir jusqu’où tu étais prête à aller. Il voulait être sûr que tu pouvais prendre même ce risque là, que tu pouvais abandonner ta pudeur juste pour un délire de potes. Marion a tellement insisté là-dessus, elle semblait tellement persuadée. Et puis, on s’est laissé convaincre parce qu’on comprenait que derrière, l’enjeu était pour votre couple. Ce qui ne devait être qu’une mauvaise blague de potaches devenait une dernière épreuve avant votre mariage. On n’a pas su comment dire non à ça. On avait l’impression de faire ça pour toi. Oh j’ai été si conne, si conne… - Gégé… Il a vraiment demandé ça à Marion ? - Tu connais Marion, jamais elle n’aurait inventé une chose pareille. A bien y penser, je ne connais pas beaucoup Kevin mais je le vois difficilement inventer ça aussi… Ca sent le plan « défi entre mecs », ou quelque chose comme ça. - Sauf que le défi, là, il était pour moi !

Marie se redresse d’un coup sec, faisant tomber en arrière sa chaise en métal. Elle attrape son téléphone et son sac à main.

- Merci Gégé, enfin je ne sais pas bien… si, merci, excuse-moi mais j’ai besoin d’être seule. Règle pour moi, je te rembourserai. - Marie…

Elle a déjà tourné le coin de la rue Vernoux. Géraldine vide le pichet de rosé dans son verre.

Jeudi, café Le Marché

- Tu es passé chercher ta robe ? - Hmm ? Non, j’irai demain, pas le temps aujourd’hui. - Mais s’il y a encore des retouches ? Vas y au moins demain matin, après ça va faire trop juste ! - T’inquiètes, ça ira. Et puis sinon je mettrai un jean. - Très drôle… J’imagine la tête de mes parents – et des tiens, d’ailleurs ! J’ai récupéré les alliances, elles sont superbes – tu veux les voir ? - Non, je les ai déjà vues quand on les a choisies. - Mon cousin Hervé a rappelé – finalement, il vient avec sa femme et leurs trois enfants. Le traiteur ne va pas apprécier ! Tu n’as pas d’autres changements de ton côté ? - Non, non. Vous êtes rentrés tard de Vallon Pont d’Arc ? - Vers dix heures lundi soir. Pourquoi tu n’as pas répondu à mes SMS. - Oh tu sais, moi j’étais fort occupée. Je te rappelle que tu es parti trois jours avec tes copains. - Mais bébé, c’était l’occasion ou jamais ! On a vraiment fait des trucs géniaux. D’abord, Titi avait loué des quads et on est par.. - J’ai diné avec Marion hier soir. On a longuement discuté. - Ah super ! J’ai pas vu Marion depuis quelques jours, elle va bien ? - Oui très bien – on a parlé de toi, de moi, de nous quoi. - Oui normal. Et donc on était 6 quads en tout, et Titi nous a emmen… - Elle t’aime beaucoup ta sœur. Elle est prête à faire des choses incroyables pour toi, tu sais. - Oui elle est chouette Marion. Donc on a pris un chemin à travers une propriété d’un ami du père de Jér… - Mais elle sait être lucide aussi, et reconnaître quand elle va trop loin. - Oui bien sûr. Oh putain, 13h25 déjà, il faut que je file, le boss va être furieux.

Il se lève, l’embrasse furtivement sur la bouche. - On se voit demain midi ? - Demain, non, je ne pense pas. J’ai encore pas mal de trucs à préparer. Le mieux c’est que tu m’attendes à la mairie samedi. - Samedi… A la mairie ? On ne se revoit pas d’ici là ? Mais… - Pas le temps, Kev, je t’assure. Et puis le futur marié doit savoir attendre jusqu’au dernier instant, non ? Comme ça, je peux te faire une vraie belle surprise. - Bon, si tu veux, mais on s’appelle hein ? Allez je file, à samedi, mon amour.

Elle le regarde s’éloigner et sort son téléphone portable de sa poche. « Toujours OK pour demain 19h15 à la gare ? »

Sourire aux lèvres, elle commence à pianoter sa réponse.

Samedi, parvis de l’Hôtel de Ville

- 9h45. Elles ne devraient plus tarder maintenant. - Bertrand, arrête, tu ne me trouves pas assez nerveux comme ça ? - Cool mon pote, détends toi, tout va bien se passer. Pense au plan baise qu’on s’est fait le week-end dernier. Rien que pour ça, ça valait le coup de se marier. - Arrête, t’es con ou quoi ? Tu veux que ma mère entende ? - Te bile pas, elle écoute pas. Et encore que – je lui dirai qu’on a joué au monopoly et au croquet tout le week-end ! Allez, relax mon vieux ! - J’aurais pas du t’écouter… Si Marie apprend ça un jour, elle va m’étriper, c’est sûr ! - Bien sûr que non, trouillard que tu es ! Je te rappelle que tout le but du petit jeu que lui a fait faire ta sœur, c’était pour te mettre à l’abri de ça. D’ailleurs les photos qu’elle a prises sont parfaites. Si d’aventure Madame s’avise un jour de te reprocher ton enterrement de vieux garçon – si tant est qu’elle l’apprenne – tu n’auras qu’à lui rappeler gentiment qu’elle n’a pas rechigné, elle, à embrasser sur la bouche cinq inconnus en pleine rue ! - Qu’est ce que j’aurais loupé si je ne t’avais pas connu. - Ah quand même, un peu de reconnaissance ! Tiens, c’est ton portable qui sonne.

« Ai bcp apprécié petit jeu de samedi dernier. Les rencontres ça ouvre les yeux. Le gd garçon pâle à vélo embrasse bcp mieux que toi. Tu avais raison, il me fallait un grand sac de voyage. »

lundi 3 juin 2013

Journal d'un apprenti vieux con... la suite

Ces précautions de vocabulaire étant posées, je me lance donc dans ce journal. Aujourd’hui, l’inspiration m’est venue sur ce thème : les vacances.

Eh bien oui, ça y est, j’y suis : les vacances commencent à m’emmerder ! Qu’est devenu mon enthousiasme primesautier dès qu’il fallait mettre les voiles, découvrir de nouveaux horizons ? Bon, d’accord, ça faisait déjà quelques temps que je m’étonnais de ce petit compte à rebours qui se mettait en place, dès le premier jour d'arrivée sur la terre promise du repos syndical : « encore 7 jours, 6 jours, 5, … ». Je ne m’en étais pas plus inquiété que ça, attribuant principalement ce décompte à la piètre qualité de la literie qui me réservait des matins douloureux (autre symptôme de la vieuxconnitude : il n’y a que dans mon lit que je dors bien, à présent).

Mais là, les dernières vacances ont eu raison de mes dernières hésitations : je compte ouvertement les jours qui me séparent du retour à la maison. Pourtant, je prends toujours plaisir à découvrir ces nouveaux villages. Je m’enthousiasme toujours devant les paysages magnifiques qui me sont offerts. Je suis ravi de ces moments de complicité et d’intimité avec les miens, déconnectés de nos contraintes quotidiennes.

Alors ? J’y vois trois grandes raisons, sans forcément pouvoir établir de lien entre elles. Par contre, leur addition rend la chose plus pénible encore, et probablement de façon exponentielle. Je vous propose d’en faire le tour dans mes prochains billets.

jeudi 9 mai 2013

Le journal d'un apprenti vieux con...

Eh bien voilà, j’avais la prétention de me sentir toujours jeune dans ma tête, si ce n’est dans mon corps, mais la réalité est en train de frapper : je vieillis, et il est même fort probable que je vais devenir un vieux con. Oh, rien de grave, me direz-vous, des millions sont passés par là avant moi, et autant sinon plus (ça dépendra de ce que nous faisons de cette terre) en passeront par là.

Donc tant qu’à aborder une nouvelle phase de mon existence, autant la faire avec entrain ! D’où l’idée de mettre par écrit ce qui vient à l’esprit d’un vieux con en devenir, ou autrement dit, d’un « apprenti vieux con »… D’où le titre de ce journal.

Faisons tout de suite un pas décisif dans cette direction, avec une première remarque de vieux con : je n’ai pas envie d’appeler ces notes à venir « blog », même si, de fait, c’en est un. D’abord, un vieux fond de résistance franchouillarde m’en empêche : j’aime l’anglais, comme d’autres langues que j’ai le bonheur de pouvoir utiliser, mais j’aime aussi passionnément la langue que les miens m’ont enseignée. Alors je ne manque pas une occasion de me rappeler à son bon souvenir, en essayant de la défendre chaque fois que j’y pense. En l’occurrence, pourquoi ne pas avoir recours à un nom français ? Même si je ne suis pas sûr de coller tout à fait à la définition d’un journal (à commencer par la fréquence quotidienne de l’exercice que requiert le mot), j’aime le mot, j’aime le son, j’aime l’idée, j’aime même toute l’histoire qu’il y a derrière. Et tout modestement, j’aime à me placer dans l’ombre des très grands qui ont donné toute leur dimension à ce mot de « journal » : Jaurès, Anne Franck, pour ne citer qu'eux…

Ensuite, le mot lui-même me déplait par sa musique : « blog ». Simple et efficace, percutant, me direz-vous ? Il m’évoque plutôt une éructation, un renvoi. Faites l’essai ; dites-le à voix haute (et si vous n’êtes pas encore convaincu, refaites l’essai après quelques virages d’une route de montagne à l’arrière d’un autobus surchauffé). Vous entendez ? C’est laid, n’est-ce pas ? En tout cas, bien laid pour désigner ce que tant de plumes talentueuses (je devrais écrire « de claviers talentueux ») en font aujourd’hui, inconnus ou reconnus.

Et puis, mon coup de grâce à ce mot : il ressemble à s’y méprendre à un autre mot anglais, « blob », qui désigne une masse visqueuse, informe, glissante… Qui voudrait qu’on confonde le partage de ses écrits avec une telle horreur ?

L'affaire est donc entendue : ce sera un "journal".